La BHAKTI L'amour dévotionnel
L'essence des enseignements de Shri Chaitanya est la bhakti, ou « l'amour dévotionnel pour Krishna ». Le mot bhakti dérive de deux racines sanskrites, la première étant bhanj, qui réfère à la « séparation ». Cette étymologie indique l'importance du dualisme vaishnava, puisqu'en effet on ne peut servir qu'un Dieu qui est « séparé » de soi. Si les êtres vivants étaient fondamentalement un avec Dieu, comme le proposent les védantistes advaita, toute perspective de bhakti disparaîtrait puisque celle-ci implique deux entités : le dévot et la personne qui fait l'objet de cette dévotion.
De façon plus générale, on fait remonter l'origine du mot bhakti à la racine verbale bhaj, qui signifie « adorer », « se dévouer à » ou « participer à ». le deuxième verset des célèbres sutras de Shandilya définit la bhakti comme « un attachement amoureux intense et exclusif pour Dieu ». Le sage vaishnava Narada développe cette définition dans son Narada-bhakti-sutra : « La bhakti consiste à offrir toutes ses actions au Seigneur Suprême et à éprouver une détresse accablante lorsqu'on L'oublie » (soutra 19). Le tout premier volume du Bhagavatam qualifie la bhakti de param-dharma, ou « la plus haute et la plus satisfaisante fonction de l'âme ». La bhakti joue donc un rôle primordial dans la pensée vaishnava.
Le concept de la bhakti est présent dans les écrits des Alvars, qui appartenaient à la première tradition vaishnava structurée de l'Inde du Sud : le Shri vaishnavisme. On le retrouve aussi dans l'Inde du Nord, où il est largement représenté par les ouvrages de Rupa Goswami, dont la théologie du bhakti-rasa est au cœur même du vaishnavisme gaudiya. La bhakti prédomina dans l'Inde du XVe et XVIe siècles, qui virent la « renaissance de la bhakti ».
Parallèlement, l'occident a vécu sa propre Renaissance, qui a pris une toute autre direction. Si la Renaissance en Inde mettait l'accent sur la dévotion à Dieu, la Renaissance occidentale se concentrait, elle, sur le savoir empirique, le progrès matériel, la science et la technologie. Le matérialisme prit essentiellement le dessus tandis que la spiritualité se trouva reléguée à l'arrière-plan.
Souvent, on se souvient de la Renaissance européenne comme d'une période de développement, la passage à l'auto-suffisance et à la découverte de soi. On doit à l'historien Jules Michelet l'invention du mot « renaissance » pour décrire cette période d'éveil, où l'humain devint capable d'échapper à ses préoccupations religieuses et superstitieuses pour devenir véritablement progressiste en se concentrant sur la nature matérielle, le corps et le monde qui l'entoure. L'humanité s'aventura alors dans la complexité matérialiste, délaissant la spiritualité et la vie simple, comme des reliques du passé.
La renaissance de la bhakti, à l'opposé de sa contrepartie occidentale, marquait un pas vers le minimalisme, vers les vérités spirituelles essentielles. Au lieu d'aspirer à de nouveaux sommets de complexité, cette renaissance s'intéressait à la dynamique essentielle de l'élan religieux ; elle répondait au besoin profond de l'humain d'échanges dévotionnels avec son Créateur, à la soif d'amour de l'homme.
Certains s'accrochaient pourtant à la tradition ritualiste et résistaient aux « idées nouvelles » des réformateurs de la bhakti, même si le mouvement bhakti puisait ses principes dans les mêmes textes que les traditionalistes.
Néanmoins, la majeure partie de l'Inde est grandement influencée par la bhakti et par ceux et celles qui la pratiquent. Sans doute parce que la bhakti évoque un élément fondamental en l'humain, et qu'à l'opposé, une renaissance axée sur le progrès matériel – même si elle semble avantageuse de prime abord – laisse en fin ultime un vide spirituel.